Poser un regard capitaliste sur le monde
dimanche 7 février 2021, 10:59 Lien permanent
J’ai toujours détesté ces vidéos dans lesquelles des chefs-d’œuvre de la peinture occidentale sont “animés”. Comme s’ils avaient besoin de ça pour être vivants ! Par cette pratique, relevant du racolage, on prend les spectateurs pour des abrutis qui par définition ne sauraient contempler une image fixe.
Cela dit, je suis longtemps resté circonspect devant les animations de peintures de paysages chinois qui, réalisées par des Chinois ou des Occidentaux, sont toujours très réussies. Alors quoi ? Ce qui n’est pas bon pour la peinture occidentale le serait pour la peinture asiatique ?
Que nenni ! Car en vérité je vous le dis, ces paysages chinois animés relèvent d’une arnaque encore pire que les animations d’œuvres occidentales.
Il suffit de les regarder avec un peu de recul pour se rendre compte du procédé, toujours identique : les peintures de paysages chinois nous offrent, le plus souvent, des vues plongeantes avec plusieurs points de vue simultanés. Ces animations, elles, oublient cette particularité et nous plongent dans une vision occidentale à point de vue unique soumis aux lois de la perspective arithmétique inventée par la Renaissance italienne. Au lieu d’avoir une vision globale d’un monde dans lequel l’homme n’est qu’un tout petit élément parmi tant d’autres, nous nous retrouvons avec le point de vue d’un être humain au ras du sol qui par sa vision, embrasse le monde, se l’approprie du regard. C’est toute la logique d’un art subtil, toute la philosophie d’un peuple imprégné de taoïsme (l’union de l’homme avec la nature) qui se trouve ainsi balayée par la vision occidentale qui entend tout posséder.
Ci-dessous, une animation de la Lecture dans la forêt en automne par Xiang Shengmo (1623) ; l’œuvre, qui mesure 106 cm x 34 cm, est conservée au British Museum. C’est très joliment fait, mais ne vous laissez pas abuser. Voir ce chef-d’œuvre de cette manière, c’est se contraindre de ne pas le comprendre, de passer à côté. Petit détail énervant, de nombreux oiseaux assez détaillés ont été ajoutés au début de la vidéo. Sur la peinture originale ils sont très petits et peu nombreux. D’autres encore volent au-dessus de la montagne à la fin de la vidéo. Ils n’existent pas dans l’œuvre de Xiang Shengmo.Au-dessous de cette détestable animation, la peinture originale. Désespérément fixe.

par Xiang Shengmo, 1623
« On vit dans un monde où l’image est hyper-envahissante, omniprésente, et tout le monde la consomme sans que personne ou presque ne s’arrête trente secondes pour réfléchir. Ça me déprime. Ce n’est pourtant pas si compliqué de réfléchir un peu. Mais non. On passe à l’image suivante, puis la suivante, puis la suivante, et encore une autre, ah ! des chatons ! »

Commentaires
Ah enfin des chatons ! Je désespérais en voir un jour sur ce site pourtant de qualité !!
Blague à part, lorsque des peintres composent leurs paysages à la façon de décors de théâtre (peintres chinois ou Claude Lorrain cheu nous), où les éléments sont des tableaux en 2D qui se glissent les uns derrière les autres (pas sûr d’être clair, là…), est ce qu’ils ne s’exposent pas à ce genre de déviance, même si la vidéo n’existait pas à l’époque? Car au théâtre, selon la place que l’on occupe, on ne voit pas le décor (paysage) de la même façon.
merci d’être de retour sur la toile navigante.
J’ai vainement cherché sur le net (mais pas très longtemps) un exemple de la “cascade lumineuse animée” qui faisait le charme de la déco kitsch des vrais faux restaurants chinois dans les années 80 pour illustrer cette chronique sur le biais de l’animation de l’image composée.
Tout ceci à cause d’une illustration de chats de calendrier des P & T …
PÉRUGIN : Si on peut parler de décors de théâtre pour des peintres tels Le Lorrain, c’est totalement inapproprié pour les Chinois qui ne conçoivent (concevaient) pas du tout l’espace de cette manière. Pour eux, il s’agit de successions de points de vue réunis dans une seule image ; ils sont posés côte à côte quand il s’agit d’un rouleau horizontal (à lire de droite à gauche), et de bas en haut pour un rouleau vertical, avec dans ce cas un chemin induit que doit suivre l’œil du spectateur. Autrement dit, la notion de profondeurs imbriquées était totalement inconnue chez les peintres classiques chinois. On passe d’une profondeur à une autre, avec pour seul lien l’unité graphique.
SGD : tiens en vlà une de cascade animée :
https://www.youtube.com/watch?v=ZQw…